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Habiter son enveloppe numérique

vendredi 23 septembre
5 grandes conférences
Habiter son enveloppe numérique

09:00-16:30

auditorium, entrée libre dans la mesure des places disponibles
> rencontre conçue et coordonnée par Dominique Boullier

 

09:00-12:45
3 conférences + discussion croisée entre les 5 conférenciers

Peter Sloterdijk, philosophe et essayiste
Bruno Latour, anthropologue
François Jullien, philosophe et sinologue

14:30-16:30
2 conférences + discussion croisée entre les 5 conférenciers

Dominique Boullier, sociologue
Francis Jaureguiberry, sociologue

 

Peter Sloterdijk

Peter Sloterdijk est philosophe, professeur de philosophie et d’esthétique à la Hochschule für Gestaltung de Karlsruhe. Depuis le succès international de sa Critique de la raison cynique en 1987, il a bâti une pensée foisonnante, critique, engagée et profondément originale dont sa théorie des Sphères en trois volumes (Bulles, Globes, Écumes) constitue sans doute le sommet. Sa pensée de la climatisation et des enveloppes permet de revisiter les notions d’intérieur, dans une rupture radicale avec le modernisme.

 

« Ce que l’on appelle ici bulle est un lieu de la relation forte dont la caractéristique tient au fait que les hommes, dans l’espace de proximité, forment un rapport psychique d’hébergement réciproque ; nous avons proposé pour ce rapport l’expression de contenant autogène. La conception d’une pluralité d’auto-conteneurs mène tout naturellement à l’expression d’écume – nous reprenons ici l’allusion topologique de Tarde à la platitude des associations humaines, et nous acquérons ainsi l’image hétérodoxe d’une écume plate. Les écumes sont des rhizomes composés d’espaces intérieurs, dont le principe de voisinage doit surtout être recherché dans les constitutions latérales d’annexes, dans des condominiums plats ou des associations co-isolées. »
extrait de « Écumes (Sphères III) », Paris, Maren Sell, 2005, p. 266.

 

Bruno Latour

Bruno Latour est philosophe, sociologue et anthropologue, professeur à Sciences Po Paris. Sa « vie de laboratoire » (avec Steve Woolgar) en 1979 constitua le point de départ d’une refonte complète de la sociologie des sciences, de même que ses travaux sociologie de l’innovation avec Michel Callon contribuèrent à fonder la théorie de l’acteur-réseau. Sa réinterprétation du modernisme (Nous n’avons jamais été modernes) déboucha à partir des années 2000 sur un souci écologique et cosmopolitique permanent formulé dans une hypothèse Gaïa comme nouvel intérieur non moderne.

 

« C’est seulement si nous nous plaçons à l’intérieur de ce monde que nous pouvons alors reconnaitre comme un arrangement particulier le choix des existants et de leurs manières de se connecter que nous appelons Nature/Culture qui a servi longtemps à formater notre compréhension collective (du moins dans la tradition occidentale). L’écologie n’est pas l’irruption de la nature dans l’espace public mais la fin de la « nature » comme concept permettant de résumer nos rapports au monde et de les pacifier. Ce qui nous rend à juste titre malades, c’est de sentir venir la fin de cet Ancien
Régime. Aux Occidentaux et à ceux qui les ont imités, la « nature » a rendu le monde inhabitable. »
extrait de « Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique », Paris, La Découverte, 2015, p. 50.

 

François Jullien

François Jullien est philosophe, helléniste et sinologue, professeur à l’université Paris Diderot et titulaire de la chaire sur l’altérité créée à la Fondation Maison des sciences de l’homme. Il est mondialement reconnu comme le penseur des écarts culturels, des catégories de pensée universelles mais pourtant différentes, et du passage de l’être au vivre. Il a notamment publié De l’intime. Loin du bruyant amour, expérience d’un intérieur qui consiste à « être auprès ».

 

« On ne peut néanmoins se cacher que le geste intime, même si c’est la douceur d’une connivence qu’il prétend établir, opère d’abord comme une intrusion vis-à-vis de l’autre, autant dire une pénétration. Mais intrusion dans quoi ? Je dirai : dans ce champ d’appartenance ou ce que j’appellerai de « privauté » (l’anglais privacy), tel qu’il se constitue pour chacun à partir de son corps propre, dont la barrière n’est pas marquée mais se connait d’emblée et que chacun transporte avec soi, dans lequel chacun s’enveloppe et se tapit. […]Par différence avec l’Amour, l’intime n’est pas déclaratif mais résultatif : l’intime n’est pas incantatoire, mais constate le basculement qui s’opère du dehors en dedans et mesure jusqu’où l’on est parvenu dans ce cheminement. »
extrait de « De l’intime. Loin du bruyant Amour », Paris, Grasset, 2013. pp. 50-246.

 

 

Dominique Boullier

Dominique Boullier est sociologue et linguiste, directeur du Social Media Lab à l’EPFL (Lausanne). Formé comme anthropologue urbain, ses recherches ont été consacrées au numérique depuis 1981, dans la lignée des travaux de sociologie de l’innovation de Bruno Latour et Michel Callon. Il travaille depuis 1999 sur la notion d’habitèle, pour penser notamment le téléphone portable comme enveloppe et depuis dix ans, il se consacre à l’invention des méthodes numériques de recherche pour des sciences sociales de troisième génération, prenant en compte les traces que nous laissons.

 

« Le modèle d’un « personal data ecosystem » qui serait centré sur la personne met surtout en évidence une approche sociologique très « égocentrique » alors même que les réseaux provoquent des circulations de traces, d’attributs de profils, qui sont très partielles, très éphémères et très partagées. Pour répondre à ce défi, nous avons proposé le concept d’habitèle qui permet de traiter la nouvelle enveloppe que les humains se créent (après l’habit, l’habitat et l’habitacle), faite de données mais non centrées sur leur ego mais sur les engagements situationnels et les affaires (ou issues)
qu’ils doivent résoudre. »
extrait de « Sociologie du numérique », Paris, Armand Colin (collection U), 2016, p. 279.

 

Francis Jaureguiberry

Francis Jaureguiberry est sociologue, professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, l’un des meilleurs spécialistes des usages des téléphones portables (« Les branchés du portable », 2003) et leurs significations culturelles. À partir d’enquêtes qualitatives approfondies, il a particulièrement étudié les phénomènes de déconnexion et les paradoxes de la connexion en voyage («Le voyageur hypermoderne »).

 

« Le voyage moderne comme entreprise de soi, comme périple ayant pour cible l’identité individuelle, comme moyen de satisfaire un goût intime de l’ailleurs et de l’aventure, est bel et bien en voie de disparition. L’expérience du voyage ne sera plus jamais la même. Car désormais ne subsiste plus que la nostalgie du voyage moderne confronté aux normes d’un monde connecté multipliant les tentations, les tensions et les paradoxes qui s’imposent dans la vie banale de ces voyageurs en quête de rupture, de découverte et d’aventure. (..) Le voyageur hypermoderne décide plus souvent en
raison des nombreuses possibilités qui s’offrent à lui, malgré lui. Il entre dans une phase plus radicale de réflexivité car ces mêmes choix lui imposent des questions qui sont vécues avec plus d’intensité. »
extrait de Francis Jaureguiberry et Jocelyn Lachance, « Le voyageur hypermoderne. Partir dans un monde connecté », Toulouse, Erès, 2016.