un lexique pour voyager dans constellation.s

par Michel Lussault, géographe

Ce lexique donne des clés de lecture de l’exposition. Il précise le sens de mots essentiels pour décrire et comprendre les nouvelles manières d’habiter le monde.

ANTHROPOCÈNE

Nous vivons une nouvelle ère « géologique » qualifiée d’anthropocène en raison du rôle majeur joué par les activités humaines dans le « changement global » qui affecte la Terre. Réchauffement climatique, réduction de la biodiversité, raréfactions de ressources entraîneront des bouleversements radicaux dans l’ordre de l’habitation humaine du Monde. La reconnaissance de cet anthropocène constitue un moment crucial où les individus et les sociétés (re) prennent conscience de leur condition vulnérable et de leur implication directe dans cette vulnérabilité. Ce changement est en même temps global et local, et les diagnostics à poser comme les actions à envisager le sont tout autant.

CARE
Care signifie à la fois « prendre soin » et « porter attention ». Joan Tronto le définit comme une activité « qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde“, de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ». Le Care est un principe de base de la vie humaine. Il s’étend à tout ce qui nous entoure : toutes les réalités humaines et non humaines qui nous environnent. La mise en relation de ces différentes composantes de la vie individuelle et sociale apparaît ainsi au coeur de l’élaboration d’un care spatial et environnemental.

COMMUTATEUR
Les commutateurs sont des lieux qui autorisent la mise en relation entre plusieurs espaces de différentes échelles et de différentes natures. Un aéroport ou une gare sont des commutateurs par excellence : on y assure la jonction matérielle et immatérielle entre une très grande variété d’espaces qui s’y trouvent en intersection et en interaction potentielles. D’où l’importance de ce type d’équipement pour l’urbanisme contemporain. Le développement des flux matériels et immatériels l’explique. Mais les commutateurs répondent également à un désir de maîtriser en même temps plusieurs espaces de tailles différentes, ce que permet un téléphone portable par exemple.

COMMUN
Le commun résulte de ce qui est mis en commun par des acteurs sociaux dans le cadre de leurs activités. Parce qu’il nécessite un co-engagement des individus, le commun est fondamentalement politique. Il est en outre spécifique à chaque situation qui le voit naître : il advient dans la pratique, y compris dans les activités qui touchent au quotidien. Ainsi le commun manifeste de nouvelles formes de citoyenneté élargies et non limitées à la participation aux épisodes électoraux.

CONNECTIVITÉ
La connectivité rend compte des multiples possibilités de connexions qui s’offrent à un individu, un groupe ou un espace donné. Les sociétés contemporaines sont marquées par une vigoureuse culture de la connectivité, qui irrigue tous les champs de la vie individuelle, familiale et sociale, notamment au travers d’Internet. Fait remarquable, les entreprises les plus emblématiques de la mondialisation sont pour la plupart fondées sur leur capacité à connecter les individus entre eux et les individus aux choses qui les intéressent. Microsoft, Apple, Facebook, Google, Twitter et bien d’autres vendent et promeuvent non pas tant des instruments que des services immatériels exprimant et magnifiant une culture universelle du contact sans entrave apparente, voire sans contrôle.

EMPOWERMENT
L’empowerment désigne un processus de mobilisation à la fois politique et éducatif qui permet d’accroître la capacité d’actions d’individus initialement en marge des systèmes de conception et de décision. Par l’empowerment, l’acteur subalterne peut devenir un intervenant dans le cadre d’une intervention collective. L’empowerment implique donc une reconnaissance de l’expertise habitante et constitue un instrument susceptible de répondre à l’exigence de justice spatiale.

FORAIN
Bien des expérimentations urbaines sont fondées sur une conception foraine de l’habitation, qui suppose des installations temporaires d’espaces. Dans cette manière d’habiter, le principe de l’impermanence est essentiel. La fragilité et la légèreté recèlent un potentiel de créativité : elles invitent les individus à prendre soin d’une réalité spatiale commune. Le forain implique également la mutabilité des espaces et la réversibilité des aménagements : l’élaboration du cadre de vie apparaît ainsi comme une entreprise nécessairement inachevée, toujours débordée par les pratiques habitantes qui s’y déploient, quel que soit son degré de perfection formelle.

HABITER
L’habitation renvoie à l’ensemble des formes d’expérience et d’occupation de l’espace par les individus et les groupes. Habiter, ce n’est pas seulement résider quelque part ; c’est aussi se mouvoir et se connecter. Doté de compétences et mu par des valeurs et des imaginaires, chaque habitant organise au jour le jour ce composé subtil de matières et d’idées qu’est son habitat. Que fait donc l’être humain ? Il habite, sans cesse et à toutes les échelles, du corps au Monde, en passant par le logement et l’espace des mobilités. Plus exactement, il cohabite en permanence avec tous les autres humains et se confronte ainsi à l’enjeu politique de la mise en commun de l’espace habité.

IMAGINATION
La relation des individus et des sociétés aux espaces de vie ne se réduit pas à un rapport fonctionnel et utilitaire. Elle est également d’ordre sensible et affectif ; elle passe par des idées, des représentations et des valeurs. Tout cela crée une imagination géographique, à la fois individuelle et sociale, qui s’exprime et se médiatise via des récits, des discours, des images. Cette imagination permet de décrire et de figurer les conditions d’habitation. Et elle ouvre un répertoire d’actes possibles en situation pour un individu ou un groupe.

INFORMEL
Un acte ou une réalité spatiale relèvent de l’informel lorsqu’ils échappent à une régulation publique explicite et à ses normes, tout en étant également hors du marché officiel. Dans de nombreuses situations, l’informel est omniprésent : il constitue même le régime normal de bien des fonctionnements urbains, notamment en matières économique et résidentielle. L’informel est souvent présenté comme résultant de la nécessité de survivre face à la pauvreté ou à la corruption. Mais il procède souvent aussi d’un arbitrage rationnel, qui conduit à le privilégier pour les avantages qu’il procure, même si ce choix peut conduire à des pratiques illégales.

JUSTICE SPATIALE
Face à la croissance des inégalités, la justice sociale promeut le principe d’équité dans la répartition des biens ou l’accessibilité aux ressources. Par analogie avec la Théorie de la justice de John Rawls, on peut définir la justice spatiale comme étant l’organisation géographique qui permet d’apporter plus, en termes d’accès aux aménités urbaines et aux biens publics, à ceux qui en ont le moins. Ce principe, qui doit être redéfini pour chaque situation, devrait être une des préoccupations des politiques de l’habitation.

LIEU
Dans un lieu, des réalités sociale diverses (humains, non-humains, constructions matérielles) sont réunies au contact direct les unes des autres et sont ainsi intégrées dans l’espace circonscrit qui les contient, leur confère signification(s) et fonction(s). Les lieux se manifestent par le caractère explicite et sensible de leurs limites et par les effets de seuil, de passage qui en résultent. Et dans un lieu, l’individu s’expose : il accepte de se placer et d’agir sous le regard des autres, de sortir de sa sphère familiale et domestique. La mondialisation redonne de l’importance aux lieux, qui constituent des prises essentielles de la vie en commun. Les lieux sont donc de nouveaux attracteurs de la vie humaine mondialisée, qui arriment et animent la cohabitation contemporaine.

MONDE
Le Monde est l’espace social que déploie une habitation humaine désormais planétaire. Engagé depuis quelques décennies, l’avènement du Monde définit une nouvelle organisation de l’espace qui diffère de toutes les situations précédentes, en termes de modes d’existence des sociétés humaines. En effet, l’urbanisation généralisée est la principale force constitutive de ce Monde, à la fois par les organisations spatiales qu’elle produit et par les imaginaires, savoirs et idéologies qu’elle cultive.

SOBRIÉTÉ
La sobriété désigne le fonctionnement optimal des espaces habités : consommer le moins de ressources possible, afin de satisfaire les besoins du plus grand nombre – y compris ceux liés à la fête, à la culture, et à l’excès, nécessaires à la respiration sociale. La sobriété n’est donc pas assimilable à l’autosuffisance, à l’abstinence ou à la décroissance. Elle suppose le couplage réussi du désir des individus, de l’efficacité, de la maîtrise des ressources et de la justice sociale. Il y a là une voie pour la réinvention de la démocratie autour d’un projet politique commun, local et global.